Quelle mouche a piqué Piketty ?

Thomas Piketty, économiste réputé, ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, professeur à l'Ecole d'Economie de Paris, directeur d'études à l'EHESSS, a commis avec Camille Landais et Emmanuel Saez, deux autres pointures en matière d'économie, un manifeste «Pour une révolution fiscale», modestement sous-titré : «un impôt sur le revenu pour le XXIème siècle».

Le travail est affligeant. Les auteurs recyclent de vielles études et passent sous silence que le principe même qui tient leur proposition phare a déjà été censuré par le Conseil Constitutionnel. Autour de cette idée sans avenir, ils rallongent la sauce avec des accessoires tout aussi irréalistes. Mais ce qui ressort de cette pseudo étude, c'est qu'elle est paradoxalement inspirée par un refus de la progressivité, ou, plus exactement par celui de faire échapper à la progressivité certaines catégories sociales.

Ni fait, ni à faire.

Le travail des auteurs a reçu un accueil enthousiaste dans les milieux de gauche, notamment socialistes.

Il a inspiré, au moins dans un premier temps, le programme présidentiel du candidat. François Hollande a paru ensuite s’éloigner de cette inspiration. L'idée phare des auteurs est que l'impôt n’étant plus progressif, il conviendrait de restaurer la progressivité par différentes mesures, la principale étant de fusionner la CSG et l'impôt sur le revenu en un seul impôt fortement progressif. On a vu, sur ce sujet, le candidat François Hollande s'avancer puis amorcer un prudent recul, déclassant l'idée au rang de perspective lointaine, au grand dam de Thomas Piketty qui ne peut comprendre que sa brillante idée soit repoussée aux calendes grecques. On a vu Jérôme Cahuzac prendre aussi ses distances avec cette mesure, pour des raisons constitutionnelles sur lesquelles nous reviendrons. On prête à Laurent Fabius d'avoir aussi émis de sérieuses réserves. Mais plus récemment, dans le flou qui entoure le programme fiscal de François Hollande, on a cru déceler un retour en grâce de Thomas Piketty, alors qu’au même moment Jérôme Cahuzac abordait une période de disgrâce puis disparaissait des écrans radars.



Les auteurs s'assurent un succès facile en servant, à cadence régulière, de solides aliments roboratifs pour conforter la conviction des lecteurs assoiffés de lutte des classes. Et l'idée, répétée, assénée, martelée, mais jamais démontrée, est installée de force comme une évidence : "L'impôt actuel n'est pas assez progressif et préserve trop les classes aisées. Il faut absolument augmenter les impôts des riches".

L'impôt serait donc dégressif ! Emporté par ce vocabulaire imprécis, confondant valeur de l'impôt et taux de l'imposition, on en arriverait même à dire que "les riches' paieraient moins d'impôts que les plus défavorisés." Même les plus convaincus reconnaissent, çà et là, quelques passages confus ; indulgents, ils mettent cela sur le compte de la créativité et la profusion d'idées originales des auteurs, tout au plus desservies par une rédaction hâtive. Les lecteurs plus exigeants jugent, eux, que le travail est à l'image de cette mauvaise rédaction : approximatif, partisan, malhonnête ; en un mot comme en cent : nul! Le diagnostic est asséné mais jamais justifié ; les diagrammes censés montrer la dégressivité de l'impôt sont établis de manière trompeuse et auraient valu un zéro pointé dans un devoir de lycéen. Les solutions proposées ne sont pas validées ; la principale, sur laquelle repose tout l'édifice, a déjà été censurée par le Conseil Constitutionnel, ce que les auteurs ne peuvent ignorer, mais qu'ils ont choisi de passer sous silence. L’individualisation de l’imposition heurte de plein fouet la liberté de fonder une solidarité économique entre deux personnes unies par un mariage ou un PACS, au seul motif que les auteurs y voient un frein à l'émancipation des femmes.

On comprend pourquoi, passé la première cuillère du brouet, François Hollande a jugé prudent de ne consommer qu'avec modération. Souhaitons-lui et souhaitons-nous qu'il s'y tienne!



Mensonge par Excel ; un diagnostic erroné

Toute l'analyse des auteurs tient dans un tableau qu'ils ont confectionné avec plus de malice que d'honnêteté. Les taux d'imposition globaux (impôts + taxes) y sont rapportés à d’inégales fractions de population classées par ordre de revenu croissant et équi-réparties sur l'axe. Les auteurs y lisent que le taux d'imposition est progressif pour les revenus les plus bas, puis reste à peu près stable avant de chuter fortement.

Une première remarque pourrait paraître anecdotique ; elle ne l'est pas et tient à ce graphique. L'échelle des abscisses est fantaisiste, n'obéissant à aucune loi mathématique. Les auteurs ont repéré sur cet axe 18 fractions de la population. Mais pour faire ressortir la tendance qu'ils voulaient mettre en exergue, ils ont dilaté la partie droite de l'axe. Ainsi les deux segments d'extrémité, à peu près de même longueur, représentent pour l'un 50 % de la population, pour l'autre 0,1 % de la population. Sans ce stratagème, la dégressivité que le graphique voulait démontrer aurait été masquée. C'est cela qui aurait dû valoir un zéro pointé aux auteurs !



Le diagramme montre en fait que :

- l'impôt sur le revenu est progressif pour 99.9% de la population; (la dégressivité dénoncée n'intervient donc que pour 0,1% de la population soit 28000 foyers fiscaux) - la somme de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur la fortune est progressive, elle, sur 99.99% (la dégressivité dénoncée n'intervient donc que pour 0,01% de la population soit 2800 foyers fiscaux) - la dégressivité sur le total de ces impositions et taxes provient de la TVA et plus encore des cotisations sociales.

Choux + carottes ; il est où le problème ?

La remarque la plus essentielle touche à l'agrégat analysé par les auteurs. Ils ont ajouté les choux, les carottes, les lapins, les pattes du lapin et les fanes des radis. Dire que tout cela, impôts, taxes, TVA, cotisations sociales, c'est tout du pareil au même, s'autoriser à les confondre joyeusement pour s'offusquer ensuite que leur somme n'est pas progressive est démagogique et totalement faux. C’est du poujadisme de gauche : « tout ça c’est pareil, c’est tout ce que l’Etat et le patron nous piquent ! ». Et bien non, ce n’est pas pareil ! Les impôts visent à assurer le financement de l'Etat et n'ont de contrepartie que des biens et services collectifs ; les cotisations financent l’assurance d’un risque individuel ou une rente individuelle différée. Mis à part une faible dégressivité de l'impôt sur le revenu pour 0.1% de la population, rattrapée par la progressivité de l'ISF, la dégressivité dénoncée est en fait celle de la TVA et des cotisations sociales. Et il n'y a aucune raison que ces deux charges soient progressives ; et il n'y pas lieu de pousser des cris d'orfraies à la lecture de ce graphique.

La (faible) dégressivité de l'impôt sur le revenu ne doit évidemment pas être ignorée. Même limitée à cette infime fraction, elle emporte des signaux inadmissibles qui brisent le consentement à l'impôt et la cohésion sociale. Elle doit donc être analysée avec soin pour en identifier les raisons et supprimer les niches fiscales qui en seraient à l'origine. L'analyse devra être précise et rigoureuse. Ce qui n’est pas forcément le genre de beauté du Piketty’s trio. Il semblerait que nos auteurs aient incorporé dans le montant du revenu les plus-values latentes, c'est-à-dire des espoirs de plus-value. La dégressivité serait pour partie liée à une double comptabilisation des plus-values, au stade latent et au moment de leur réalisation. Mais, quoi qu'il en soit, cette dégressivité n'a guère d'impact économique. C'est bien à la TVA et aux charges sociales qu'il convient de s'intéresser pour apprécier la situation en matière de progressivité.

Epargner n’est pas jouir.

Concernant la TVA, les auteurs ne précisent aucunement d'où ils tirent la répartition de la TVA par classes de revenus. Et pour cause ! Ces données n'existent pas ; on n'identifie pas la TVA payée selon les revenus de celui qui la paie. L'analyse des auteurs repose uniquement sur un postulat qui voudrait que les revenus faibles, contraints de consommer intégralement leur maigre revenu, s'acquitteraient de davantage de TVA que les riches qui économiseraient la TVA sur leur épargne. C'est désolant de simplisme ; une blague ! D'une part la TVA sur les produits alimentaires et de première nécessité étant à un taux de 5,5% ou 7 % contre 19,6% pour les autres produits, l'incidence du profil de consommation des revenus modestes n'est pas aussi simple à analyser. D'autre part l'épargne des hauts revenus n'est pas exemptée de TVA. Les riches, comme les pauvres et les gens honnêtes paient de la TVA également sur leur épargne … mais ils la paient en différé.

Seuls, ou presque, les acheteurs de véhicules d'occasion, les malhonnêtes et les crétins ne paient pas la TVA, les malhonnêtes parce qu'ils fraudent, les crétins parce qu'ils brûlent leurs billets la veille de leur mort pour échapper au fisc. Quand les riches épargnent, ils diffèrent la consommation de leur revenu et donc le paiement de la TVA. Mais, sauf à ce qu'ils roulent uniquement en voiture d'occasion et qu'ils soient à la fois riches, crétins et mal conseillés, ils finissent toujours, eux ou leurs héritiers, par consommer leur revenu. A l'heure où on recherche avidement des préteurs pour financer les déficits des Etats, faut-il clouer au pilori ceux qui précisément épargnent, diffèrent leur consommation et permettent à d'autres (en l'occurrence des Etats) de consommer plus que leur revenu.

Les cotisations ne sont pas des impôts ; elles sont payées par les bénéficiaires. Les cotisations sociales et taxes sur les salaires doivent être distinguées selon les composantes principales de la protection sociale : la santé, la retraite et l'assurance chômage.

La sécurité sociale n'est pas financée par des cotisations directes sur les revenus du capital (CSG exceptée). C'est un fait, et on peut le regretter. Mais il y a des années d'histoire derrière cela. La sécurité sociale a été inventée selon un système assurantiel pour permettre l'accès aux soins des travailleurs. Elle a donc été créée au sein de la corporation des salariés, avec des cotisations assises sur des salaires. Certes, on s'est déjà pas mal écarté de l’idée originelle, mais le cœur du système est ainsi. On peut souhaiter une sécurité sociale universelle, financée exclusivement par l'impôt, au profit de tous les citoyens, sans distinction de leur situation d’emploi. Notons que ce ne serait ni évident ni immédiat ; mais surtout que les oppositions viendraient d'abord et avant tout des partis de gauche et des syndicats ouvriers. Ni les uns ni les autres ne se résoudraient à abandonner la gestion paritaire actuelle tant ils voient des risques à confier la politique de sécurité sociale au Parlement et à ses majorités successives et fluctuantes. Il ne suffirait pas non plus de décréter qu'une partie des recettes de l’impôt serait affectée aux instances actuelles de gestion de la sécurité sociale. Une sécurité sociale sans référence à la notion de contrat de travail, financé par l'impôt, n'aurait plus aucune raison d'être gérée par les syndicats. La sécurité sociale universelle financée par l'impôt et sans les syndicats n'est pas pour demain.

L'assurance contre le risque de chômage est financée, bien évidemment, par des cotisations sur les salaires, ce qui explique la chute de la courbe en partie droite du tableau, là où les revenus sont faits d'une proportion plus grande de revenus non salariaux. Comment pourrait-il en être autrement ? Chaque cotisation versée devant conférer des droits à une prestation chômage, quels droits faudrait-il attribuer à une cotisation chômage assise sur des revenus non salariaux ? Et quel serait le fait générateur de la prestation d'assurance en l'absence de contrat de travail ? Faire cotiser les revenus non salariaux n’à aucun sens.

Concernant les retraites, il ne faut pas plus s'offusquer de ce que les revenus non salariaux n'y contribuent pas. Ce n'est pas un problème technique. On pourrait sans difficulté instaurer une cotisation retraite sur les revenus non salariaux, mais à la condition, sous peine d'inconstitutionnalité, que cette cotisation confère des droits. Aurions-nous intérêt, pour l'équilibre des régimes à aller dans cette voie. Rappelons que le système des retraites comporte trois étages basés sur la répartition. Le deuxième et le troisième étage de ce système constituent la retraite complémentaire des ouvriers (ARRCO) et des cadres (AGIRC). Ce sont des systèmes par points qui organisent une solidarité intergénérationnelle. On met en commun les cotisations des générations en activité pour financer globalement et instantanément les pensions des générations en retraite. Techniquement parlant on pourrait accueillir dans le système AGIRC ou ARRCO des revenus non salariaux ; tous les contributeurs recevraient des points proportionnellement à des cotisations assises sur les revenus salariaux ou non salariaux. En régime transitoire, l'apport des cotisations supplémentaires assises sur les revenus non salariaux précéderait le versement de retraites supplémentaires (le temps que les nouveaux cotisants arrivent à la retraite). En régime permanent la mesure serait probablement neutre, à condition toutefois que l'équilibre des revenus salariaux et non salariaux se maintienne au cours du temps. Mais, dans la phase initiale, il s'agirait d'un transfert au profit des retraités d'aujourd'hui et au détriment des cotisants d'aujourd'hui, futurs retraités. Ce n’est pas particulièrement souhaitable. Il y aurait aussi une difficulté conceptuelle pour la contrepartie des cotisations sur les revenus non salariaux des déjà retraités ; le principe de la répartition s'accommode mal de cette situation.

Dégressivité ? Quelle dégressivité ?



Ainsi, tout ce qui précède montre que la baisse qui apparaît dans la partie droite du tableau ne tient ni à la fraude, ni à des stratégies d'optimisation fiscale, ni aux niches, ni à des systèmes intrinsèquement dégressifs.

Elle tient à l'erreur de raisonnement des auteurs qui n’ont pris en compte que la TVA sur la consommation immédiate du revenu et, de plus, selon un profil de consommation arbitraire qu’ils ont posé comme un postulat ; il tient directement au fait que les cotisations chômage et retraite épargnent les revenus non salariaux… ce qui est inévitable et même tout à fait souhaitable. Il tient donc et surtout au fait que le système est ainsi fait, pour de très bonnes raisons et principes.

Même si nos auteurs se donnent des airs d'avoir inventé le fil à couper le beurre, la démonstration que cet agrégat incohérent d'impôt et cotisations n'est plus progressif ne leur vaudra pas un prix Nobel. La réponse était contenue dans la question.

Justifier leur réforme de l'impôt par ce constat est une escroquerie intellectuelle.

Leur raisonnement est le suivant : puisque les cotisations sociales ne sont pas progressives, augmentons la progressivité de l'impôt sur le revenu ! On voit bien là le tour. On veut justifier une augmentation de la progressivité de l'impôt sur le revenu alors qu'il ne souffre pas de dégressivité ; on lui ajoute des cotisations qui sont, par construction, dégressives ; on complète par une bonne dose de dégressivité de la TVA, tirée du chapeau; et comme cela ne le fait toujours pas, on dilate l'échelle des abscisses pour zoomer sur les 0.1% de revenus supérieurs!

La grande Piketterie. Une solution inconstitutionnelle.

L'impôt pour le XXIéme siècle inventé par nos flibustiers, de moderne, n'a guère que d'être optimisé pour des bourgeois bohèmes parisiens. La "grande piketterie" aurait été un titre plus approprié.

L'impôt préconisé par les auteurs se substitue à la CSG et à l'impôt sur le revenu. A la CSG il emprunte la base élargie et l'individualisation ; à l'impôt sur le revenu, il emprunte la progressivité, tout au moins le principe de progressivité qu'il renforce passablement. Le Graal fiscal que nos auteurs cherchent doit en effet être progressif, on a vu pourquoi, être assis sur tous les revenus, on a vu également pourquoi, mais aussi individualisé ; et là c'est sur un tout autre plan que les auteurs se placent.

Libérons la femme du quotient conjugal !

L'individualisation serait indispensable à l'émancipation des femmes afin qu'elles échappent à la soumission dans laquelle le système du quotient conjugal les tient.

Fichtre ! En voilà de la rhétorique pure bobo, ultra vierge, première pression à froid !

Nos auteurs s'effraient que, dans un couple, le salaire de la personne la moins bien rémunérée, a priori la femme selon eux, serait imposé au taux marginal qui résulte de la moyenne des deux revenus, conduisant ces personnes, des femmes donc, à renoncer à ce travail trop fortement imposé. Alors, ils proposent d'appliquer séparément le barème progressif, ce qui conduirait à une imposition réduite pour celui des deux qui a le plus petit salaire, pour l'inciter à continuer à travailler.

Ces gens là doivent vivre dans un monde à part. Ont-ils vraiment rencontré des couples qui demandaient une imposition séparée pour leur permettre de payer ensemble plus d'impôt mais en donnant au "deuxième apporteur de revenu" l’impression qu’il est moins imposé ?



Il faut rappeler à nos auteurs cette plaisanterie de cours de récréation où un camionneur à qui on préconise de dégonfler les pneus pour passer sous un pont trop bas refuse au motif que "c'est en haut que cela coince, pas en bas". Pourquoi donc considérer que c'est le salaire du plus faible contributeur qui est imposé en haut de tranche ? On n'a qu'à dire au contraire que le salaire du plus petit contributeur sature les premières tranches et est donc imposé faiblement… et l'argument à deux balles de nos pieds nickelés tombe à l'eau ; vu sous cet angle le quotient conjugal permettrait de réduire beaucoup l'imposition du premier salaire, beaucoup moins celle du salaire plus élevé. C'est donc un encouragement au deuxième salaire ! CQFD !

Bon, en fait, ce contre argument est volontairement absurde, mais pas plus que celui des auteurs.

Cette question du quotient conjugal est extrêmement importante. Elle est entourée d'un formidable contresens qui montre le curieux rapport à la progressivité de l'impôt de ceux qui voudraient le supprimer.

Pointer la femme (ou plutôt le deuxième salaire du couple) comme victime, c'est en fait refuser la progressivité. Si le deuxième apporteur de revenus était incité à cesser son activité ou à ne pas chercher une amélioration de son revenu, il en est de même pour le premier apporteur qui renoncerait à une promotion au motif que les sujétions supplémentaires ne seraient compensées que par un complément de revenu trop imposé. Si on souhaite la progressivité de l'impôt on ne peut pas en refuser les effets qui, rappelons-le, ne portent ni sur l'un ni sur l'autre mais sur le couple et sur l'ensemble de son revenu. Le couple qui bénéficie d'une progressivité atténuée du fait du quotient conjugal voudrait le beurre et l'argent du beurre en gommant également la progressivité sur le deuxième salaire. En fait aucun couple qui a réfléchi deux secondes à la question ne souhaite cette imposition individualisée qui augmentera leur imposition globale.

On en trouve une démonstration éclatante dans un entretien entre Thomas Piketty et Ségolène Royal (accessible sur You Tube). Ségolène Royal s'y englue, partisane d'une chose et de son exact contraire. « Oui à l'individualisation qui baisserait les impôts des femmes (du deuxième salaire en fait) » dit-elle, « mais à condition que cela ne fasse pas perdre à la cellule familiale le bénéfice du quotient conjugal lorsque, par exemple, la femme se retrouverait au chômage ». Et de conclure que la femme (toujours elle) serait doublement pénalisée, chômage, et perte du quotient conjugal. Cela devient surréaliste. Quelle drôle de situation que nous dresse Ségolène Royal ! Une fois l’individualisation mise en place, on reviendrait dessus pour baisser les impôts du conjoint de celui qui est au chômage ! Le couple dont l’un est au chômage, à revenu identique, paierait moins d’impôt que celui dont l’un ne travaille pas. Comment distinguer la situation de perte d’emploi, de celle de n’avoir jamais travaillé. Celui ou celle qui n’a jamais travaillé devrait il être pénalisé davantage ? Le principe même de l'individualisation c'est… l'individualisation pour tous ; pas l'individualisation pour certains seulement. Pas l'individualisation pour les femmes au foyer et le quotient conjugal pour les femmes au chômage, ou pour celles qui prendraient une année sabbatique. La position de Ségolène Royal n'a aucun sens, et ne témoigne que de ce qu'elle n'a pas réfléchi une seule seconde à la question. Elle témoigne malheureusement aussi de l’incapacité répandue à prendre les problèmes selon une approche systémique, et de la propension corollaire à bâtir des systèmes comme la superposition d'une pétition de principe et de multiples exceptions pour corriger les effets indésirables de cette pétition ou des exceptions précédentes, à mesure qu'on en prend conscience.

Tout ceci est bel et bien un refus de la progressivité par ceux qui considèrent y être injustement soumis. Oui à la progressivité de l'impôt, mais à condition qu'elle ne s'applique qu'aux autres, concluent-ils. La cause des femmes n'est évidemment qu'un argument de circonstance pour habiller un choix éminemment idéologique. Les auteurs projettent leur vision du couple. Mais les situations de couples ne se résument pas à des couples de professionnels aux revenus comparables, suffisamment aisés pour se poser la question du deuxième salaire sous l'angle de l'épanouissement de la femme au travail. Il faut rappeler aux auteurs l'existence de couples où le mono revenu est subi et non choisi, voire où le mono revenu est librement choisi par les deux et non pas imposé par un mari autoritaire. Ont-ils un jour visiter un bassin industriel et mesuré la difficulté, en l’occurrence pour des femmes, à y trouver un emploi.

Les auteurs argumentent en disant que l'Etat n'a pas à se mêler, par la politique fiscale, de favoriser telle ou telle forme de couple. Mais c'est précisément ce qu'ils font eux !

Tout en revendiquant la neutralité de l'Etat à l'égard des choix de vie, nos auteurs s'immiscent sur ce terrain. Ne leur en déplaise, la liberté de former des couples comme des cellules de solidarité économique (les époux se doivent assistance… ils contribuent aux charges a proportion de leurs facultés..), est une des libertés les plus anciennes et les plus universelles. Et la loi dispose que les individus qui s'associent selon l'une des formules possibles peuvent bénéficier d'une imposition commune.

Nos auteurs se sont laissés entraîner par leur tropisme individualiste. François Hollande ne s'y est pas trompé, tout au moins dans un premier temps, en annonçant de suite qu'il conserverait le quotient conjugal. Il est quand même inquiétant de constater que cette position du candidat n'a été justifiée que par des difficultés techniques. Il eut mieux valu que le candidat réalise et indique que la réforme proposée est contraire aux valeurs de la gauche et aux fondements ancestraux de notre modèle social. Et contraire à notre constitution !

Il y a quelques années, le Conseil Constitutionnel avait déjà censuré une proposition de loi qui visait à introduire un allègement des cotisations de CSG sur les bas salaires. L'argumentation du Conseil Constitutionnel renvoyait à la distinction entre les impositions progressives et les impositions individualisées. Le Conseil ne s'opposait ni aux unes ni aux autres. Mais il s'opposait à la confusion des deux. En clair : - soit l'impôt est proportionnel, alors il peut être individualisé, - soit il est progressif alors il doit être assis sur l'ensemble des revenus de la cellule fiscale. Le principe même de l'impôt préconisé par nos auteurs (individualisé et progressif) a donc déjà été censuré par le Conseil Constitutionnel. Jérôme Cahuzac, intervenant récemment dans le cadre de la campagne de François Hollande, reconnaissait qu'il en serait également de même aujourd'hui.

La CSG ne peut pas être progressive; ou, plus précisément, un impôt individualisé ne peut pas être progressif. L'impôt progressif devra s'appliquer aux foyers fiscaux et non aux individus. Si la CSG non progressive n'est pas acceptable à nos auteurs, alors ils ne peuvent que la faire disparaître et reporter les recettes attendues sur un impôt sur le revenu, progressif, ce qui leur convient, mais appliqué aux foyers fiscaux. Nos révolutionnaires sont passés à côté de ce point essentiel.

++ If it’s not broken don’t fix it.++

Nos auteurs consacrent ensuite beaucoup d'efforts pour organiser le prélèvement à la source. Ils ne disent guère les raisons qui les amènent à considérer comme essentiel ce mode de prélèvement de l'impôt. Sans doute sacrifient-ils là à la mystique du prélèvement à la source tellement plus simple et indolore que les cruels tiers prévisionnels. Mais comme le diable se cache dans les détails, nos aventuriers sont contraints de bricoler pas mal le principe et la simplicité fond à vue d'œil.

L'impôt étant progressif, il faut en effet indiquer, pour chaque salarié ou épargnant, le taux à appliquer par l'organisme percepteur. Deux solutions sont possibles, également insatisfaisantes :

- soit on impose mensuellement chaque salaire sur la base du barème de progressivité mensualisé, et on réajuste en début d'année suivante pour tenir compte de tous les revenus (multi employeurs, revenus du capital…) - soit on impose mensuellement à un taux moyen déduit des impôts de l'année d'avant… et on réajuste l'année suivante pour tenir compte de la réalité de l'année écoulée.

Les trois mousquetaires de la révolution fiscale ont une préférence pour la seconde. Ils semblent même assez épatés d'avoir trouvé l’astuce ébouriffante du taux de l'année précédente.

La nécessité de transmettre à chaque employeur, chaque banque ou institution financière le taux d'imposition de chacun au titre de l'année précédente ne les a pas choqués. Après tout on dévoile déjà son taux d'imposition à l'école du quartier pour le prix de la cantine, on peut le faire à son employeur ! Ils n'y ont vu aucune atteinte aux libertés individuelles. Reconnaissons, à la décharge de nos tontons flingueurs, que leur impôt devait être individualisé ; alors forcément l'employeur aurait eu, de manière native, une idée des revenus qu'il lui aurait incombé d'imposer. Mais la connaissance du taux effectif lui fournit la connaissance de l’ensemble des revenus de son salarié, revenus des autres employeurs et du capital compris. Et comme, de plus, l'impôt ne pourra pas être individualisé, la transmission du taux du foyer fiscal à chaque employeur prend une autre tournure. La deuxième solution est totalement inenvisageable sauf à accorder aux employeurs un droit de regard exorbitant sur la vie privée des salariés. Elle provoquerait un tollé totalement justifié des salariés. Il faut être bien peu expérimenté des relations sociales et humaines au travail pour ne pas le savoir.

Mais dans les deux cas, le prélèvement à la source ne dispense pas d'une déclaration et d'un versement complémentaire l'année suivante. Et il ne procure aucun avantage pour personne, notamment pas pour l'Etat en matière de trésorerie puisque l'avance de trésorerie est annulée par l'annulation d'une année d'imposition (pour éviter que les contribuables ne paient deux impôts la première année).

Le prélèvement à la source qui n'était pas indispensable à cet impôt nouveau se révèle être une usine à gaz sans aucun intérêt. Nos trois Géo Trouvetout de la fiscalité, là encore, sont passés à côté. ++ Les taux moyens ; une idée moyenne.++

Rappel : taux moyens et taux marginaux. On parle de taux moyen quand ce taux est appliqué à la totalité du revenu depuis le premier euro. On parle de taux marginaux quand différents taux s'appliquent séparément à chaque tranche du revenu. On répartit le revenu d'un même contribuable en tranches empilées. Le calcul global de l'impôt se fait en appliquant chaque taux à une tranche particulière. (Ainsi la tranche d'imposition supérieure actuelle de 41 % s'applique uniquement à la fraction du revenu qui dépasse 70000 euros par an)

L'impôt nouveau de nos mousquetaires serait exprimé en taux moyens et non en taux marginaux. La raison serait que personne ne comprendrait véritablement le système des tranches. Ce n'est pas faire grand cas de l'intelligence des contribuables…encore que, à considérer leur propre cas, ils ont peut-être raison d'être prudent sur le niveau général en mathématiques.



Pour nos auteurs leur schéma est tellement plus clair et plus simple ! Là encore ils semblent s'épater eux-mêmes. Point de tranches ! On définit différents taux moyen d'imposition du revenu. Plusieurs barreaux de l'échelle assurent la progressivité. Et entre deux barreaux, c'est très simple, il suffit de tirer un trait …

Il suffit de tirer un trait ! ? … Tellement plus simple, non ? Tellement simple qu'ils ont oublié de préciser si le trait devait être tiré entre les taux d'imposition ou entre les montants d'impôts. A moins qu'ils n'aient cru que cela revenait au même.

Soyons bon prince et accordons leur que c'est, là encore, par souci de concision et pour ne pas détourner l'attention sur ces menus détails qu'ils ont omis de le préciser.

Evidemment le barème en taux moyens, appliqué aux salaires bruts, sans déduction des frais professionnels, ne peut pas se comparer facilement à l'ancien barème. Et ce changement de définition permet de dissimuler, derrière des taux doucereux une très forte augmentation du niveau d'imposition des plus aisés.

Rien de plus normal s'exclament nos lascars. Notre système est fait pour épargner les plus modestes et rehausser l'impôt des plus fortunés. Mais "pas de beaucoup" disent-ils : 5 % maximum ! Effectivement 5% d'impôt en plus pour les plus fortunés n'est peut-être pas un effort si scandaleux. Sauf qu'il ne s'agit évidemment pas de 5% d'impôt en plus… mais 5 points d'impôts en plus, ou dit autrement 5% du revenu en impôt supplémentaire. C'est déjà plus consistant et la bande des trois n'aurait pas démérité à le préciser plus nettement.

Qui perd, qui gagne? L’individu Roi

Mais le pire est ailleurs. La distinction entre qui perd qui gagne n'est pas tracée selon le revenu. Les grands gagnants sont les célibataires et les couples sans enfants et de revenus comparables. Les perdants sont les familles aux revenus différents.

Comparons, pour le montrer, deux cellules fiscales de même revenu, dans les catégories aisées.

La première est composée de deux adultes sans enfants; 5 500 euros brut chacun, 11 000 euros à deux.

La seconde est une famille avec 3 enfants et deux revenus, l'un de 2 500 euros l'autre de 8 500 euros, 11 000 euros au total.

Les deux cellules ayant le même revenu, la première dispose donc a priori d'une capacité contributive plus forte. Le système actuel impose plus fortement la cellule avec deux adultes que la famille de 3 enfants.

Piketou et ses complices vont corriger prestement cette situation.



Dans le système actuel :

- le couple sans enfants paie 10500 euros de CSG et 16300 euros d'impôt, soit 26800 euros. - La famille paie 10500 euros de CSG et 7500 euros d'impôt et donc 18000 euros au total.

Dans le nouveau système les jeux sont inversés :

- 20400 euros pour le couple soit une réduction de 6400 euros ! - 24600 euros pour la famille soit une augmentation de 6600 euros !

La famille ayant la moins grande capacité contributive se retrouve payer plus d'impôt que le couple sans enfants.

Le biais partisan est manifeste. "Oui à la progressivité !", nous disent les auteurs, mais pour les autres, pas pour les gens biens, pas pour ceux qui nous ressemblent !

Sous couvert de renforcer la progressivité en haut d'échelle, on soustrait à la progressivité une classe particulière de citoyens.



Le plaidoyer pour une plus grande progressivité en haut d'échelle est en fait motivé par un moins de progressivité pour "les gens qui nous ressemblent".

Alors, pour cela, on baisse la progressivité en bas d'échelle et on individualise l'impôt pour rehausser l'imposition des bénéficiaires actuels d'un quotient conjugal ou familial.

Les auteurs se piègent dans le contresens qui entoure toujours ces deux notions.

Les systèmes de quotient familial ou conjugal ne sont pas là pour redistribuer une aide aux couples et/ou aux familles. Ils sont là pour organiser le droit à une solidarité économique au sein d'un couple et/ou d’une famille ; étant rappelé que cette solidarité n’est pas imposée, chacun est libre de se pacser ou ne pas se pacser. Il s’agit de solidarité horizontale et non pas verticale.

Le principe de l'impôt progressif est de demander (en %) plus à ceux qui ont une plus grande faculté contributive. Les auteurs, de façon paradoxale si on s'en tient à leurs intentions affichées, mais logique si on prend en compte leurs intentions réelles ou inconscientes, inversent le principe. Ils demandent plus à ceux qui ont une moins grande capacité contributive.

Souci de riches objecteront-ils ! L'exemple est pris dans des catégories favorisées ! Et bien non ! L'individualisation produirait les mêmes effets dans les catégories intermédiaires et modestes. Un couple dans lequel chacun gagne 2200 Euros bruts, 4400 Euros à deux, paiera le même impôt qu'une personne seule gagnant 4000 Euros (10 % de moins que le couple) et élevant seule un enfant. C'est là un sens de la justice fiscale assez particulier.

L'Etat n'a pas à se mêler des situations familiales disent-ils! Mais si ! Justement ! Dès qu'on se mêle de redistribution et, dans un premier temps, de progressivité de l'impôt, l'acte premier et essentiel est de définir qui redistribue quoi à qui et, pour cela, de définir la cellule unitaire d'évaluation des capacités contributives.

L'impôt progressif et individualisé de nos auteurs interdit de mesurer cette capacité contributive au niveau de la cellule de solidarité économique universellement reconnue. C'est à cela que le Conseil Constitutionnel s'est déjà opposé et s'opposerait à nouveau.

Sur ce thème de l'individualisation, nos auteurs n'ont rien inventé.

Bien d'autres s'y sont frottés avant eux. L'Observatoire Français des Conjonctures Economiques a commis il y a un certain temps déjà une étude d'une autre tenue. Passant en revue de nombreux scénarios, l'OFCE s' y astreint à des analyses mathématiquement plus solides, à signaler les limites des calculs, les incertitudes des données et à appeler systématiquement l'attention sur les traductions sociologiques des scénarios et, en particulier, sur les problèmes d'inégalité horizontale mentionnés plus avant. Comparé à l'étude de l'OFCE, le travail partisan, incomplet, trompeur, de nos auteurs est affligeant.

On ne sait dire si c'est là de l'amateurisme, de l'incompétence de gens pourtant bardés de diplômes, enseignants et chercheurs dans les plus grandes universités, ou tout simplement que leur expertise scientifique est passée derrière un militantisme partisan.

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Piketty, pire que tout; que les cotisations disparaissent!++

Après que nos auteurs aient ainsi fait un sort aux impôts et à la CSG et pulvérisé façon puzzle jusqu'aux fondements de notre modèle social, deux frustrations les saisissent. Ayant axé toute leur étude sur les impôts, alors que le défaut de progressivité est ailleurs, ils ne pouvaient pas quitter la scène sans s'intéresser aussi aux taxes et cotisations. Ayant calibré leur réforme sur un montant constant de recettes fiscales, il leur fallait aussi traiter de l'augmentation des recettes fiscales pour ne pas risquer un contre sur ce point si actuel.

Et là, pour paraphraser tant Michel Audiard que François Bayrou, le "déconomètre va fonctionner à pleins tubes".

Sur le premier point, les auteurs nous servent un invraisemblable chapitre, encore plus mal rédigé que le reste de l'ouvrage. Les idées et leurs développements imparfaits s'entrechoquent, le rythme s'accélère. L'usage d'adverbes et formules creuses s'intensifie pour laisser croire que, même si on ne détaille pas par souci de concision, on a des arguments sous le pied ; et même d’ailleurs que ce n'est pas la peine de détailler tant ce qu'on dit est une vérité universelle. Le lecteur est étourdi. Mais de quoi parlent-t-ils ? Ils évoquent une taxe patronale universelle étendue aux revenus du capital ! Taxe patronale sur le capital ? Mais de quoi c’est ty qu’ils causent ? Comment peut-on parler de taxe patronale pour des revenus du capital lorsqu'il n'y a ni contrat de travail ni employeur ? Ils proposent ensuite de retenir pour cette taxe la même assiette que pour l'impôt sur les sociétés ! Veulent-ils vraiment échanger des taxes assises sur des salaires contre des taxes assises sur le bénéfice fiscal des sociétés ? Si c'était le cas il faudrait saluer la belle confiance de nos auteurs dans les entreprises pour risquer l’échange d’une recette aujourd'hui relativement certaine contre une recette dépendante des résultats et optimisations fiscales des sociétés.

Après cette navigation précipitée dans les pensées brutes de retranscription des auteurs, le brouillard se dissipe un peu et une solution apparaît, à peu près compréhensible, même si on ne voit guère en quoi elle est liée à ce qui la précède. Elle consiste à supprimer des taxes patronales sur les salaires et les restituer en revenu aux salariés.

Pour éviter que les employeurs ne conservent pour eux le bénéfice des charges supprimées sans les restituer en salaires, les auteurs proposent un mécanisme particulier ; les employeurs continueraient à verser à l'Etat, pour le compte des salariés, un montant équivalent aux charges supprimées, à titre de précompte d'impôt. Les salariés seraient alors imposés sur ce revenu supplémentaire, mais déduiraient de leur impôt à payer le précompte déjà versé par leur employeur. Techniquement parlant, cela marche ! … Mais on sourit au souvenir des premiers chapitres quand les auteurs plaidaient pour la simplicité de leur système.

Le problème, pas du tout banal, est que des charges sociales destinées au financement de notre protection sociale _ pas à l'Etat_ sont purement et simplement annulées et qu'une fraction seulement de ces sommes est récupérée _par l'Etat_ sous forme d'impôt supplémentaire. On supprime la taxe et on récupère l’impôt sur la taxe ; 50 à 100% de la recette, selon le revenu du taxé, s’évapore.

Rappelons encore aux auteurs que les destinataires des cotisations sociales sont des organismes gérés paritairement et qu’ils se dresseront devant le détournement des cotisations au profit de l’Etat

La diminutions globale des recettes serait de presque 100% pour près de la moitié des situations, et de 50 % pour les revenus supérieurs. Les auteurs nous laissent alors comprendre que ce manque à gagner serait récupéré par une augmentation du barème de l'impôt et une augmentation de l'assiette de l'impôt sur le revenu du contribuable.

Et apparaît là la grande idée des revenus fictifs, et plus particulièrement des loyers fictifs des résidences principales occupées par leur propriétaire. Le principe est d'une grande simplicité. Il suffit de prendre en compte, comme un revenu, le loyer qu'un propriétaire devrait verser pour louer l’appartement qu'il occupe. Et donc d'imposer ce revenu pour réparer l'injustice qui résulte de la propriété d'une résidence principale. La proposition jaillit comme un flash, à peine décrite, et sans autre justification que la correction des injustices avec les locataires. Rien d'étonnant à cela d'ailleurs puisque le texte n'est pas un rapport d'études mais un manifeste militant. On joue sur les variations de rythme pour tromper la vigilance du lecteur et placer les sujets les plus contestables au moment de son assoupissement. Sur le fond de la proposition, on frémit de la boite de Pandore qui serait ouverte.

Gageons que nos frères Torquemada ont bien l'intention de faire subir la même imposition aux résidences secondaires. Ils ne sont pas du genre à se faire rouler dans la farine par des scélérats qui loueraient leur résidence principale et achèteraient leur maison de campagne. Trop facile !

Mais ont-ils aussi pensé aux bateaux de plaisance ? Bien évidemment il faudra réintégrer une location fictive pour ces objets de luxure et rétablir un peu de justice avec ceux qui sont obligés de louer leur bateau une semaine par an. Et les voitures ? Après tout, les jeunes urbains louent très cher un véhicule pour aller se ressourcer le week-end, alors que d'autres utilisent gratuitement celle qu'ils ont achetée ! Et les propriétaires de camping-car qui partent en vacances pour presque rien ! Et le temps libre, bon sang ! La femme au foyer, quand elle travaille à son domicile, produit des services qu'elle consomme immédiatement. Ces services ont évidemment un coût qui peut constituer un revenu taxable. Et le salarié à temps partiel qui fait son jardin ou, pire, son potager ! Et qui mange ses légumes ! Et les réseaux d'échanges locaux, véritable marché noir pour bobos, où s'échangent impunément des biens et des services en franchise sociale et fiscale.

Cette mesure des loyers fictifs est tellement gigantesque dans ses implications, sans même l'aborder au fond, qu'on est abasourdi par cette présentation à la sauvette, en deux phrases truffées d'adverbes pour suggérer l'évidence et la pertinence et masquer l'absence d'argumentaire.

Elle existe en Suisse, disent nos auteurs. Certes, mais comme il existe en Suisse des mécanismes bancaires et immobiliers spécifiques pour gommer cette imposition (prêt immobilier in fine, sociétés de portage) en laissant le propriétaire apparaître comme un locataire.



Un petit dernier pour la route :

Alors, avant d'abandonner le lecteur à sa calculette et son désespoir, les auteurs leur en servent un tout petit dernier pour la route : l'augmentation des recettes. Et oui parce qu'il fallait bien y penser. Tout ce qu'on a fait jusqu'à présent n'est que remettre de la justice fiscale à recettes totales constantes. Il faut aussi montrer que l'outil permet d'augmenter ces recettes.

Rien de plus facile ; deux outils puissants sont à notre disposition :

Le coup du loyer fictif déjà servi pour compenser la perte de taxes sur les salaires va être étendu et augmenté pour gonfler les recettes.

Et le relèvement des taux sur les hauts revenus, au sens pikettien du terme, à partir des fatidiques 8000 Euros par mois.

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++Ces choses-là sont rudes, il faut pour les comprendre avoir fait ses études (*) ++

Alors là, le lecteur qui jusque-là s'acquittait benoîtement de ses impôts, se croyait de la classe moyenne et pas de ces scélérats de gens zaizés, fronce le sourcil, relit la biographie de nos auteurs, culpabilise en pensant qu'il soupçonne ces grosses têtes, si diplômées, de forfaiture intellectuelle ; peut-il se permettre, lui, de dire pis (ketty) que pendre de gens si intelligents ? Alors il relit une fois de plus, deux fois de plus et se dit que, tout comme la guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée à des militaires, la fiscalité est aussi chose trop sérieuse pour être confiée à des économistes.

Et il se met à écouter Hollande avec beaucoup plus d'attention et à guetter les traces d'idéologie pikettienne dans ses discours.

Pourvu qu'il tienne l'hurluberlu à distance !

(*) Victor Hugo, La légende des siècles. Les pauvres gens.