A l’erreur succéderait l'ignominie.

En juillet, le ministre du budget laissait paraître à quel point il était empêtré dans le problème de l'imposition à 75% des hauts revenus. Il n'évoquait pas moins que d'exclure de cette imposition les revenus des artistes, écrivains, sportifs et entrepreneurs, au sens des vrais entrepreneurs qui réalisent une plus-value en revendant leur entreprise ! Curieusement son annonce n’a pas provoqué le buzz qu’on aurait pu attendre Ainsi, après qu’on ait vilipendé les riches en général et les riches footballeurs en particulier, qu’on se soit inquiété de savoir si Noah et Bruel resteraient bien en France, redouté qu' Arditi ne vote à droite, cette affaire abracadabrantesque finirait en quenouille, par l'imposition des seuls salariés ?

N'en déplaise à ses partisans, la mesure d'origine, combinée à la CSG et à l'ISF, est quasi-confiscatoire. Les difficultés étaient donc prévisibles. La droite s’amusait d’avance du fait qu’elle concernerait d’abord et surtout des artistes, à tort ou à raison réputés proches de la gauche. Mais de là à imaginer que tout ceci finirait en une telle pantalonnade et un tel tour de passe-passe pour exonérer certaines catégories particulières de contribuables !

Le ministre du budget s'est d'abord abrité derrière une obscure distinction entre revenus garantis et revenus aléatoires. . On lui souhaite bien du plaisir pour décliner cette notion de façon juste et respectueuse de l'égalité des contribuables et pour déjouer les contournements possibles.

Ce ministre du budget, d'ordinaire inspiré, est là à contre-emploi, engagé en même temps à défendre une mesure qu'il n'a jamais approuvée et à y faire échapper des catégories amies de la gauche. C'est une situation bien sévère pour ce responsable politique compétent et honnête. Il boira le calice jusqu'à la lie, alliant la maladresse de la mesure initiale à l'ignominie d'une mesure purement catégorielle pour la préservation de riches artistes.

Mais cette justifucation a-t-elle des chances réelles de prospérer ? En choisissant d'abriter la volonté de préserver les artistes et écrivains derrière cette distinction entre revenus assurés et revenus incertains, il a choisi une voie étroite. Les artistes, les acteurs par exemple, signent des contrats qui définissent avec autant d'assurance qu'un contrat de travail leur rémunération. Certains de ces contrats sont d'ailleurs des contrats de travail à durée déterminée. Comment faire la part entre un contrat de dirigeant d'entreprise, souvent à durée déterminée, et un contrat d'artiste ? Les professions libérales seront-elles épargnées puisque, davantage même que les artistes, elles n'ont aucune garantie de revenus ? Les bonus des dirigeants, par construction non garantis, seront-ils également épargnés ? Dans la logique stricte de cette distinction selon le niveau d'assurance des revenus, il ne devrait plus rester dans le champ de cette mesure que les salaires fixes, hors rémunérations variables, des contrats à durée indéterminée. Il suffirait alors aux entreprises et bénéficiaires de transférer la part de salaire qui excède 1million d'Euros sur une part pseudo variable et l'imposition à 75 % aurait vécue.

Poursuivant son analyse et sa justification, le ministre du budget pointait que l'annonce de la mesure pendant la campagne avait été positivement reçue par les Français indignés de ces rémunérations excessives. "..il faut donc trouver une solution pour dissuader des rémunérations qui sont perçues comme illégitimes..." "...une très grande majorité de nos concitoyens sont exaspérés par ces rémunérations indécentes dont on apprend (...) que certains dirigeants se les attribuent dans des conditions parfois un peu légères.."

Le Ministre a eu, là aussi, particulièrement tort de choisir cet axe de justification. Il se place sur le terrain du jugement entre ce qui est légitime et ce qui ne l'est pas. Ce n'est pas le terrain du droit qui doit s'élever au dessus des jugements individuels et personnels.


Avec cette référence à l'opinion publique, il invente la démocratie par acclamation !

"Voulez-vous taxer plus les patrons qui se goinfrent ? "

"Oui ; ce sont des salauds!", répondait la foule en délire en jetant des bigorneaux.

"OK , ce sera 75% ! voulez-vous faire pareil pour Yannick Noah ? "

"Ah non!" répondait la foule, "il est sympa, lui"

L'éxonération des artistes et écrivains n'a évidemment pas été soumise à un sondage par acclamation. Le gouvernement interprète, seul, la réaction des Français et décrète que ceux ci seraient choqués des rémunérations des patrons mais approuveraient celles des sportifs, artistes, écrivains. Fable que cela ! Ce n'est évidemment pas la position des Français que le gouvernement exprime là, mais un jugement de gauche, et même plus précisément socialiste. Dans le cadre de pensée socialiste, ce n'est pas le montant d'une rémunération qui serait juste ou injuste, mais la nature du travail qui l'aurait générée. Plus d'un million d'euros, pour un dirigeant d'entreprise, c'est le mal absolu. Le même montant ou beaucoup plus pour jouer au ballon, faire du cinéma, chanter sur une scène, c'est de l'art. Tout est affaire de style.

Pour citer complètement le Ministre :

« Il faut donc trouver une solution pour dissuader des rémunérations qui sont perçues comme illégitimes (..celles des patrons..) et ne pas décourager une activité économique qui, qu'on le veuille ou non, provient souvent sinon toujours de l'enthousiasme, de l'envie, de l'idée, du talent d'hommes et de femmes (..des artistes..) »

« Après tout, on peut avoir envie de voir ces talents et ces idées rémunérés au niveau qu'ils souhaitent ».

Le ministre nous livrait ainsi le fond de son cœur : les hauts revenus ne sont illégitimes que s'ils proviennent de l'industrie, pas quand ils rémunèrent des talents qui évidemment ne sont que chez les artistes.

Et là, force est de constater, tant à la manière d' Audiard que de Bayrou, que le déconomètre fonctionne à pleins tubes. C'est même effrayant ! Ce ministre, ou ce gouvernement, nous invente l'imposition au mérite, ou plus précisément, à l'inverse, l'exonération fiscale au mérite. Comme Louis XIV distribuait des charges ou des titres, le gouvernement exonérerait tel ou telle, selon ses mérites :

" Les écrivains? c'est bon, à gauche ! les artistes? Pareil, exonérés ! » " Les capitaines d'indutrie à droite , taxés, sauf Pigasse et Bergé qui mettent du talent et de l'art dans leur management!" " Les avocats?.. Faut voir…il y a de tout parmi eux , pas question d'exonérer les avocats fiscalistes en tous cas !" " Les familles nombreuses ? À droite ! Exonération possible si et seulement si les gosses ne sont pas baptisés et ne vont pas aux scouts !" " Les journalistes ? C'est bon, à gauche ! Même ceux de droite, on peut en avoir besoin !" " Les chirurgiens ? À droite toute ! pour eux y'a pas photo "… (dommage pour Cahuzac!).

A l'erreur succédérerait l'ignominie.

Exagération? Pas vraiment ! C'est bien de cela dont il s'agit. Plus récemment le ministre tentait de se justifier en rappelant que la mesure avait été décidée après l'annonce de l'augmentation des patrons du CAC 40. La mesure ayant été motivée par le comportement des patrons, il n' y aurait pas de raison de pénaliser les artistes et les écrivains. La légèreté de cet argumentaire dans la bouche d'un ministre fait froid dans le dos, mais il n'a guère plus de chances de prospérer que la distinction entre revenus garantis et revenus aléatoires. S'il ne le sait pas, quelqu'un finira bien par enseigner au Ministre que l'impôt doit être prélevé équitablement à proportion des capacités de chacun et que ces capacités sont mesurées par le revenu, pas par le statut, ni par le mérite.

Au delà même de cette considération constitutionnelle, cette distinction entre entreprises et artistes est très naïve. Quand Johnny part en tournée, c'est bien une entreprise qui est mise en branle ; pourquoi serait il légitime que Johnny accapare un revenu plusieurs centaines de fois supérieur à celui distribué au technicien de scène ? Ou plutôt pourquoi ceci serait-il davantage légitime que dans une société industrielle "classique" ? On peut même, au contraire, penser que les abus sont plus condamnables dans le domaine artistique avec des personnels qui ne tirent pas, loin de là, leur rémunération principale de leur activité mais de leur statut d'intermittent du spectacle. (Cette incise ne vise pas ici à stigmatiser les intermittents, mais à souligner que l'écart des revenus entre professionnels des arts est d'autant plus scandaleux qu'il laisse une partie significative des salariés à charge de la collectivité).

Le Ministre est-il naïf ? Réalise-t-il que ses arguments sont irrecevables ? Qu'ils ne sont pas répubicains ? Et qu'il va se fracasser contre le mur de la constitutionnalité ?

Il n'est peut être pas si naîf. Il est à l'évidence carré et direct et semble ne pas apprécier qu'on le prenne pour une bille. Il n'a jamais caché qu'il n'était pas favorable à cette taxation à 75% que François Hollande a décidée sans l'avoir consulté. Nul doute que ses adversaires au sein même du gouvernement savourent de le voir à la bataille sur ce thème. Quelle meilleure manière de sortir de ce guépier que de pousser la mesure et la volonté de ses promoteurs à son paroxysme pour s'abriter ensuite derrière le Conseil Constitionnnel au moment de ranger l'affaire aux oubliettes.