Alors, c'est juste ou ce n'est pas juste que les journalistes bénéficient d'un abattement sur leur revenu imposable ?

Une pétition circule avec difficultés sur le Net pour réclamer la suppression de l'avantage fiscal des journalistes. Sans surprise elle ne fait pas la une des journaux ; le désintérêt des journalistes pour qu'un tel sujet soit porté au débat est flagrant. Et puis la pétition a été lancée par une organisation, l'UNI, connue ni pour son ouverture d'esprit ni pour la mesure de ses arguments. C'est d'ailleurs une chance pour les journalistes que ce soit cette organisation qui ait pris l' initiative de la protestation contre l'avantage fiscal des journalistes. Leur défense n'en sera que plus facile.

Et pourtant, malgré la réputation sulfureuse de l'UNI, le débat mériterait d'être posé.

A l'heure de la justice dont le Gouvernement veut que toute chose procède, on ne peut pas ne pas s'interroger sur la pertinence d'une telle mesure.

Les journalistes peuvent déduire de leur revenu imposable une somme de l'ordre de 7000 euros au titre de leurs frais d'emploi ; sans préjudice de l'abattement de 10% pour frais professionnels que déduisent tous les salariés. Cela représente un gain de 0 à 2800 euros selon que le journaliste est non imposable ou, à l'inverse, imposé dans la tranche supérieure. Et bientôt, pour les mieux lotis qui seront assujettis à la nouvelle tranche à 45 % ce sera un peu plus de 3100 euros de cadeau fiscal. De nombreux journalistes aux revenus modestes, mais ni plus ni moins modestes que ceux d'un instituteur ou d'une infirmière, se retrouvent non imposables. Et la jurisprudence, soucieuse de cohérence, a établi que ces 7000 euros devaient également être retirés du revenu pour le calcul des seuils de conditions de ressources pour le calcul de la cantine, des prestations de la CAF, etc.

Alors cet avantage est il juste ou injuste?

Ses promoteurs s'aventurent en général dans trois directions :

- la première est passablement usée et bien peu de supporters tentent encore de l'emprunter ; elle consiste à défendre mordicus que ces 7000 euros sont bien représentatifs de frais d'emploi; et de citer pêle-mêle l'ordinateur à la maison, les sorties à Paris pour rester branchés sur le monde, les abonnements à des revues pour la même raison… comme si les autres salariés n'étaient pas tenus, eux, de fréquenter la vie et le monde… comme si la déduction de 10 % était insuffisante, comme s'il n'y avait pas possibilité d'opter, en cas de situation exceptionnelle pour les frais réels Mais les tenants de cette cause perdue se font de plus en plus rares; laissons les s'éteindre en paix.

- la seconde est plus prisée ; elle consiste d'abord à rappeler que les stars du petit écran si bien payées sont peu nombreuses et que la grille de salaire de la profession est, au contraire, plutôt basse. On trouvera la thèse développée sur le site du SNJ ; encore que le développement est assez court et s'en tient à affirmer que les salaires de la profession sont plus bas que pour des cadres de niveau comparable...point, à la ligne ! En matière de militantisme affirmation vaut toujours mieux que démonstration.

- La troisième est proche de cette dernière mais rajoute la notion essentielle d'aide à la Presse. Cet avantage fiscal serait une aide à la Presse, l'Etat venant rétablir un revenu décent là ou les entreprises de presse n'auraient pas les moyens de rémunérer correctement leurs journalistes ; tout ceci pour garantir la diversité de la Presse.

Ces justifications sont en vérité irrecevables :

En premier lieu, il faut rappeler que nous sommes encore dans un Etat de droit et même de droit écrit. Le texte doit prévaloir sur les improvisations. Et les mots doivent avoir un sens. La Loi de finances votée chaque année par nos députés inscrit une mesure relative à la déduction de "frais d'emploi". C'est absolument extraordinaire, et extraordinairement inquiétant, que l'on s'accommode aussi facilement de la Loi de finances ; les députés votent une mesure liée à des prétendus frais d'emploi et les commentateurs, ministres inclus, indiquent à voix haute qu'il s'agirait en fait d'une mesure de compensation salariale. Et ainsi va la vie, paisible, le droit, la Constitution, la légitimité et le pouvoir des parlementaires, la dignité de leur fonction, foulés aux pieds ; et toujours au prétexte que cela concerne une corporation estimable ou que cela sert la diversité de la Presse.

Il n'est pas inutile de noter que le Code des Impôts précise que l'Administration n'a pas le droit de demander justification des frais d'emploi, signant là, s'il en était besoin, la tartufferie de la situation.

Mais au delà même de cette tromperie, il n'est évidemment pas dans les missions de l'Etat de corriger la grille de salaire d'une profession par le truchement d'une niche fiscale. Ce n'est tout simplement pas le rôle de l'impôt. L'impôt doit être prélevé à concurrence des capacités de chacun. Et les capacités de chacun ne sont mesurées que par le revenu, pas selon les mérites ou caractéristiques des professions qui ont généré ce revenu.

L'Etat n' a pas, non plus, à venir aider un secteur presque entièrement privatisé et possédé par de grands groupes industriels ou financiers - Bouygues, Lagardère, Dassault, Rothschild – qui se devraient de rémunérer correctement tous leurs employés, qu'ils aient ou non une carte de presse. L'Etat entretiendrait alors le système en encourageant un déséquilibre, les entreprises intégrant l'avantage fiscal dans leurs raisonnements pour fixer les salaires des journalistes.

Enfin, on remarquera que les professions de l'information et du divertissement étant toujours davantage mêlées, la frontière du journalisme et de l'animation est brouillée. Les prestations de Mme Pulvar chez Ruqier étaient éligibles à cette défiscalisation. Les animateurs du Petit Journal de Canal ont eux aussi obtenu une carte de Presse et le bénéfice fiscal qui va avec.

A l'heure de la justice, à l'aune de laquelle toute chose doit maintenant être mesurée, cet avantage n'est juste qu'une niche fiscale indéfendable.