La Banque publique d’investissement va voir le jour. Cette naissance est saluée à gauche comme la réalisation du candidat Hollande et comme la marque du volontarisme économique. Karine Berger qui s’affirme chaque jour davantage comme la groupie du pianiste qui blogue plus vite qu’elle ne pense, a commis un billet véritablement extatique pour saluer cette grande avancée sociale. L’analyse portée par ce billet et les termes employés révèlent, trahissent devrions nous dire, une préhension des problèmes par la conformité aux pétitions de principes, marqueurs de gauche et marqueurs de l'air du temps tout court.

La banque est publique ; elle vise les PME et les ETI ; prioritairement celles qui veulent exporter ; elle sera décentralisée avec un rôle important accordé aux régions qui, comme chacun sait, sont plus prés du terrain. La banque fonctionnera comme un guichet unique associant des organismes et dispositifs existants déjà dans le domaine de l’accompagnement économique des entreprises, notamment à l’export.

Toutes les cases des thèmes à la mode ont ainsi été cochées.

Espérons que cette structure sera vraiment à la hauteur des espérances placées en elle. Il est permis d’en douter.

Ainsi du rôle des régions. Les régions sont réputées plus près du terrain et donc mieux à même de juger de l'intérêt des projets économiques.

C'est une fadaise ; et pour deux raisons.

Tout d’abord, les régions de disposent pas véritablement des compétences pour apprécier la dimension technique et économique des projets. Leurs directions du développement économique, ou de la recherche, ou du travail, structures trop légères, différentes d'une région à l'autre, sans agence d'évaluation indépendante du pouvoir politique, vont au gré du vent, des opinions à la mode, et des désirs des élus.

La deuxième raison est que la région est un périmètre de cohérence trop petit pour évoquer la plupart des sujets économiques. Vouloir prendre le sujet par les territoires c'est réduire le champ d'action aux thèmes qui s'inscrivent véritablement sur le territoire. La plupart de nos filières anciennes sont installées sur l'ensemble du territoire national et de plus en plus européen ; les nouvelles filières ont aussi vocation à se développer sur un territoire plus vaste qu'une région (Nano technologies, énergies renouvelables, économie numérique). La contradiction est déjà flagrante ; on la mesure aux compétitions destructrices que se mènent les régions entre elles au travers de leurs pôles de compétitivité. C’était une idée saugrenue de penser qu’un ensemble défini au croisement d’une thématique et d’un territoire géographique pourrait offrir un périmètre de cohérence pour une action de développement économique. Les pôles de compétitivité ont été construits sur ce contre-sens ; leur inefficacité objective n’est masquée que par le génie de la communication technocratique : « les pôles n’ont pas échoué ; ils ont brillamment œuvré pendant les deux premières phases, mais les enjeux sont tels qu’ils doivent maintenant aborder une nouvelle ère (pompeusement désignée phase 3.0 des pôles) : ils doivent passer d’usine à projets à usine à produits. »

Ce charabia insipide n’est là que pour masquer le constat d’insuccès ; insuccès qui était inscrit dès le départ dans l’ADN des pôles de compétitivité.

La même erreur sera reproduite avec la BPI.

La dimension régionale est trop restrictive, et les acteurs ne sont pas organisés pour assumer ce rôle.

Gouverner une banque dans ce périmètre est une folie. Penser que les régions vont ainsi se retrouver à la présidence des comités locaux d'engagement des crédits de cette banque flatte l'idée reçue que les régions seraient tellement plus pragmatiques, plus efficaces, plus prés des réalités que les technocrates de Paris. Mais derrière ces poncifs, il a le risque, ou la certitude, de voir des comités d'engagements présidés par des élus ignorants de l'industrie, de la dimension nationale et européenne des sujets, ignorants du droit administratif, des marchés publics, du métier de banquier. On va dans le mur en klaxonnant.

Penser qu'un élu puisse se retrouver à décider des dossiers de prêt ou d'investissements dans des entreprises de sa région est une aberration et une régression intellectuelle en matière de démocratie et de séparation des pouvoirs.

Les potentats locaux veulent leur banque : ils veulent en fait battre monnaie.

Procès d’incompétence fait aux élus locaux ?

Peut–être ! Mais les expériences passées incitent à la pus grande méfiance. L’activisme désordonné des politiques locales pour sauter sur tout sujet technologique à la mode, soutenir tout projet qui fait vibrer les bons mots du moment (nano-technologies/ développement durable / énergies renouvelables / technologies de la connaissance..) a été dévastatrice dans les années passées.

Et le risque est encore aggravé par la confusion de plusieurs métiers qu’il n‘aurait pas fallu réunir dans les mêmes mains, tant ils obéissent à des règles différentes pour concilier la liberté individuelle des entrepreneurs, la concurrence, le libre accès à la commande publique et l’action publique.

Les actions en matière d’accompagnement doivent être accessibles à tous, sous couvert bien évidemment de critères transparents d’éligibilité. Les politiques de soutien comportent, elles, une composante inévitable d’appréciation de l’opportunité au regard de l’intérêt commun et de la libre concurrence. Le métier de banquier part en vrille dés lors qu’on mêle analyse de risques économiques, taux de rentabilité et…demandes des politiques. Confondre dans la même structure l’accompagnement à l’export, métier traditionnel d’UBIFRANCE, le soutien à l’innovation, c’est à dire l’octroi de subventions publiques, et l’activité de banque (prêts et investissements) dans une même structure, c’est un aller-simple pour l’aventure.

L’Etat a montré de suite le mauvais exemple en indiquant que cette BPI serait amenée à préfinancer le crédit d’impôt compétitivité, révélant là combien il considérait que cette banque publique devait avant tout être aux ordres de sa politique nationale. Nul doute que les régions sauront imiter le mauvais exemple et utiliser l’autorité qu’elles revendiquent pour mettre cette banque publique au service de la politique locale.

Dans cette affaire, commencée de longue date, mais aggravée à chaque transfert de souveraineté aux collectivités locales, on prétend décentraliser la décision au plus prés du terrain et ainsi dégraisser le mammouth jacobin. On n’aboutit, en fait, qu’à remplacer un jacobinisme d’Etat, appuyé sur une administration ancienne et compétente, contrôlé par un droit administratif consistant, par un jacobinisme régional, directement dans les mains des élus, et se souciant fort peu du droit administratif, de celui de la concurrence et autres contraintes pourtant essentielles à la démocratie.

Il n'est pas surprenant que le héraut de cette revendication, soit le président de la Région Aquitaine. Le girondin se révèle en lui pour combattre le jacobinisme d'Etat. Mais, passée la victoire le girondin se mue en jacobin local.

Avec cette décentralisation forcenée, plus rapide que ne progressent en maturité les collectivités territoriales, nous préparons de nouveaux conflits. Telle entreprise du Nord de la France attaquera une décision de la région PACA au motif qu’elle aura accordé un avantage compétitif injustifié à son concurrent. Tels actionnaires minoritaires d’une start-up en faillite attaqueront une région pour soutien abusif et gestion de fait. Telle entreprise européenne dénoncera que les aides à l’innovation ont été illégitimement accordées et que la combinaison d’aides (subventions) et d’emprunts et de prises de participations n’était destinée qu’à contourner les limites européennes aux aides à l’innovation.

La Banque publique d’investissement, si on s’en tenait à ce qui découle simplement de son intitulé pourrait être un outil intéressant de développement économique. L’idée de drainer l’épargne vers les entreprises selon un circuit court (calqué sur le modèle du livret A) avec des taux d’intérêt fiscalement dopés au bénéfice de l’épargnant et de l’entreprise est une idée puissante qui a toute sa place dans l’arsenal des actions de développement économique. Que la banque soit publique n’enlève pas forcément à son efficacité, si tant est que la gestion est menée par des professionnels indépendants du pouvoir politique. Enfin qu’elle ne s’en tienne pas uniquement au métier de préteur, mais soit aussi une banque d’investissement est utile et important… mais renforce encore davantage, s’il en était encore besoin, que la BPI doit être tenue éloignée des ingérences du pouvoir politique national et régional.