Christian Eckert, député, rapporteur général de la commission des finances s’exprimait récemment ainsi à propos de la censure par le conseil constitutionnel de la super taxe 75% :

« Commençons par rappeler l'objectif, qui est dissuasif. Nous ne cherchons pas à percevoir un impôt pour alimenter le budget de l'État, mais à éviter que des salaires supérieurs à un million d'euros par personne ne soient versés. Ce sont ces salaires exorbitants, en période difficile où on demande des efforts à tout le monde, qui choquent les Français. Alors, cette taxe, c'est une amende plus qu'un impôt. Nous disons : Si vous dépassez la ligne jaune, vous payez »

Le député Eckert a emprunté là la voie la plus intelligente pour sortir du ridicule de cette situation, disons la moins sotte ou, en fait, la seule possible.

Mais pour autant cet axe d’argumentation souffre trois défauts majeurs : la thèse est politiquement insincère ; et c’est une double sottise, légale et constitutionnelle.

La thèse est insincère

C’est, en effet, après coup que le député Eckert vient réécrire l’histoire et promouvoir l’effet dissuasif de la mesure plus que la motivation budgétaire. Tout au long de la campagne le candidat Hollande n’a cessé, non pas de dire , mais de laisser comprendre que les classes moyennes seraient épargnées et que l’équilibre budgétaire serait recherché par l’augmentation des impôts des « classes-favorisées-qui-ont-le-plus-et-qui-ont-tellement-profité-sous-la-présidence-précédente ». En communication, ce qu’on a communiqué c’est ce que l’autre a compris. Et ce que les électeurs de François Hollande ont compris c’est qu’il suffirait de taxer les plus riches, et que la taxe de 75% faisait bien partie du dispositif de retour à l’équilibre.

Alors M. Eckert a beau jeu maintenant de rappeler qu’elle n’aurait rapporté qu’un montant relativement faible sans grande incidence sur l’équilibre des comptes. Ce qui est parfaitement exact. Mais l’insincérité politique réside dans le fait qu’il eut fallu le dire avant et ne pas mentir par omission et même dissimulation pendant la campagne.

Il y a aussi une ambiguïté dans la thèse de M. Eckert. Sans qu’il précise clairement le sujet, on perçoit une fixation du propos sur la notion de salaire indécent, plus que de revenu. Il n’emploie que le mot « salaire ». Il faut rappeler la confusion qui régnait au début de septembre quand se déroulait une tentative de ne faire porter cette taxe que sur les salaires, réputés garantis, et d’en exclure les revenus d’activités réputés aléatoires des artistes et sportifs. On croit réentendre dans la thèse de M. Eckert cette même distinction. Ce serait les salaires qui, lorsqu’ils sont trop élevés, seraient indécents, pas les revenus des artistes et des sportifs. Devant la cacophonie et la bronca qui allait se lever, François Hollande avait alors tranché l’affaire en reprécisant le sens de la mesure : tous les revenus _ 1 Million par personne_ non conjugalisé. Et il avait pris soin de préciser qu’il revenait là au sens initial de la mesure. Il n’a jamais été question dans les propos du Président de cette notion d’amende que M. Eckert nous sert aujourd’hui.

Parler d’amende est une sottise au plan du droit.

Une amende est la sanction financière forfaitaire et libératoire d’une d’infraction à une disposition légale. Pour qu’il y ait amende il faut d’abord qu’il y ait infraction. Et les infractions sont définies par les différents codes, code pénal, code du travail, de la sécurité sociale…

Elles ne sont définies ni par une loi de finances, ni par le gouvernement, ni par les députés de la commission des finances.

Un montant de salaire supérieur à 1 million d’euros n’est pas aujourd’hui une infraction.

Sottise au plan du droit, mais combien révélatrice d’une grave et inquiétante confusion des pouvoirs. On en revient à la monarchie qui distribuait amendes et récompenses selon son bon vouloir.

Quand bien même une majorité qualifiée viendrait à introduire dans un code que le dépassement d’un certain niveau de salaire serait interdit, il y a fort à parier que cela serait jugé inconstitutionnel tant le rôle de la loi n’est pas de fixer une limite maximum à des salaires qui résultent de dispositions librement convenues entre des parties.

M. Eckert objectera certainement que le terme d’amende est une image et qu’il n’entendait pas faire référence à ses connotations légales. Il n’empêche : il n’appartient pas plus à une loi de finances de définir une infraction qu’au parlementaire d’intervenir dans la libre fixation des conditions de rémunération dans les entreprises privées, tant qu'elles restent conformes aux lois et règlements applicables.

Regretter le Conseil Constitutionnel n’ait analysé l’affaire que comme un impôt est aussi une monstrueuse sottise.

Qu’aurait-il donc pu faire d’autre ?

C’est bien une loi de finances qui lui a été soumise ; c’est à dire une loi qui fixe le montant des impôts et des dépenses. Il n’a pas été saisi d’un projet de définition d’une nouvelle infraction et du montant de l’amende correspondante.

Aurait-il du de lui-même réinterpréter le texte qui lui était soumis et faire naitre une matière législative nouvelle que le législateur n’avait pas créée ?

Ce n’est évidemment pas son rôle et cela aurait été une grave improvisation constitutionnelle.

Là aussi la position de M. Eckert est inquiétante par la légèreté qu’elle traduit d’avec le travail législatif et la séparation des pouvoirs.

En « voulant rattraper le coup », pour que la censure n’apparaisse pas comme une copie trop sévèrement annotée par le professeur de droit constitutionnel, Michel Charasse en l’occurrence, M. Eckert s’est précipité dans un vide politique juridique et constitutionnel abyssal. Gageons que l’ancien ministre, anciennement socialiste, Michel Charasse saura lui expliquer avec la verve dont il est capable. Pour une fois on en serait presque à regretter l’obligation de réserve des membres du Conseil Constitutionnel.