En quelques semaines après son élection, François Hollande, amateur de foot, s'est peut être placé dans un « corner » dont il aura du mal à s'extraire.

Il a gagné les primaires socialistes sur le terrain de la social-démocratie, contre Martine Aubry, plus radicale, plus tranchée et plus tranchante, moins sympathique. François Hollande, réputé pour son humour, pour sa recherche des compromis, offrait une image consensuelle qui n'a pas été pour rien dans sa victoire aux primaires.

La campagne présidentielle a démarré par un long silence qui a fait douter les gens pressés. Puis, ce fut le triomphe du premier meeting et de la publication du programme, en fait soixante propositions, destiné à être brandi contre toute critique : "J'ai un programme, tout y est écrit, tout sera fait…"

De ces soixante propositions, seuls la foi du militant ou l'aveuglement de l'opposant à Nicolas Sarkozy permettaient de dire qu'elles constituaient un programme. Avec le recul, elles étaient, trop nombreuses, de simples pétitions de principe, peu détaillées, mal ajustées les unes ou autres, ne dégageant pas de ligne cohérente.

Très vite ensuite la campagne s'est placée sur deux thèmes principaux et deux thèmes auxiliaires qui se prolongent encore aujourd'hui :

- L'anti sarkozysme, thème porteur pendant la campagne, celui qui a véritablement fait gagner Hollande et qui s’est poursuivi, après l'élection, par le dé-tricotage de certaines des mesures les plus marquantes du quinquennat précédent ; - la justice, notion mal définie, souvent confondue avec l'effacement des inégalités ; - la chasse aux riches, déclinaison du précédent, thème auxiliaire mais que François Hollande trainera longtemps comme un handicap, exacte symétrique de la fascination de son prédécesseur pour le monde de l'argent ; - La « normalitude », toujours en opposition à son prédécesseur, qui tournera vite à l'absurde et lui sera renvoyée dans les dents quand, il faut le souhaiter, il se pliera au rythme de la fonction et à l'utilisation des outils qui conviennent ; ou quand les charmes du fort de Brégançon auront lassé sa compagne.

L'anti sarkozysme a dépassé le temps de la campagne ; les premières mesures, pour défaire ce que le prédécesseur avait fait visaient à annuler la période Sarkozy, à faire qu'elle n'aurait jamais existé. Ce n'est pas de très bonne politique ; le temps de la succession, pendant lequel on peut imputer au prédécesseur la responsabilité des difficultés est forcément limité ; mais ce temps limité, François Hollande la consommé trop goulument ; en défaisant aussi vite et aussi systématiquement les mesures phares du quinquennat de Nicolas Sarkozy, il a obtenu, comme il le souhaitait, l'effacement du prédécesseur et précipité le temps où il devient lui, le nouveau, pleinement comptable de la situation.

La TVA sociale consistait à transférer des charges sociales patronales sur la consommation par le biais d'un relèvement du taux normal de la TVA. La gauche et François Hollande ont de suite poussé des cris d'orfraies au motif que la TVA était un impôt profondément injuste puisqu'il porte avec le même taux quelle que soit la richesse du consommateur. L'argument de l'allègement du coût du travail et du renchérissement des importations n'a pas pesé lourd dans la balance. La mesure a été immédiatement annulée au nom de la justice et au motif véritable de balayer l'héritage Sarkozy. C'était sans compter sur la Cour des comptes et son président qui, dans les conclusions de l'audit demandé par la nouvelle équipe, pointent l'impérieuse nécessité de relever un impôt à large assiette. C'était sans compter sur les conclusions du sommet social et notamment de l'atelier sur la ré-industrialisation animé par Louis Gallois qui pointe, lui, la nécessité d'opérer un transfert massif ( 30 milliards ) des charges des entreprises vers la CSG revenant là à une idée fort proche de celle de la TVA sociale. Un bref instant séduite par l’idée, l'équipe en place s'est employée d'abord à en expliquer toute la différence avec la TVA sociale, celle-ci jugée définitivement injuste même si elle ne portait pas sur les produits de première nécessité. Il faudra beaucoup de naïveté ou beaucoup de foi militante aux intrépides qui voudront démontrer que la hausse de la CSG est juste là ou celle de la TVA serait injuste. Jérôme Cahuzac, ministre du budget a étrangement fermé le piège qui se tendait autour de François Hollande, en déclarant qu'il ne pouvait être question d'augmenter la CSG puisque cela ne faisait pas partie des engagements de campagne. Et François Hollande est ainsi dans un « corner ». Ou bien il se prive d'une mesure intelligente et puissante pour retrouver l'équilibre budgétaire et/ou relancer la compétitivité du travail, ou bien il se fait conspuer pour plagier la TVA sociale par une mesure de même nature en vérité et qui n’a même pas l’avantage de taxer les produits importés.

C’est à l’aune de la justice aujourd'hui que toute chose est mesurée. Cette justice-là, nulle part n'est définie. Ce n'est qu'un principe, une pétition de principe. C'est la justice de François Hollande ; et plus précisément, dans le mode de pensée de celui-ci, c'est le contraire de l'injustice à ses yeux. Une famille de riches qui profite du quotient familial, c'est injuste, point final ! Peu importe que le quotient familial ait été instauré pour mettre de la justice, que l'on dit « horizontale », entre familles avec et sans enfants. Le rationnel n'a pas sa place ici. François Hollande revisite le droit et trouve injuste que le quotient familial n'ait pas de dimension « verticale » (redistribution des riches vers les moins riches), ce qu'il n'a jamais eu. La justice n'a ici rien à voir avec le droit et la loi ; est injuste ce qui n'est pas égalitaire. Et bein pire encore : est injuste ce qui profite à celui qui ne nous ressemble pas. La famille en Renault Espace, catho, donc de droite, bafoue la justice la plus élémentaire en profitant du quotient familial. L'avantage fiscal des journalistes que rien d'avouable ne peut pourtant justifier, est juste, au sens de cette justice personnelle et constamment improvisée. Il y a coté royal à cette justice là. Le monarque définit lui-même ce qui est juste et injuste. Cette justice-là, qui ne procède que du jugement du Prince n'ira pas loin. Elle se fissurera très vite par gros temps, confrontée à la complexité des situations.

La « chasse aux riches » sera à François Hollande l'exacte symétrique de la réception au Fouquet's de Sarkozy. L'une et l'autre sont l'inopportune irruption dans le débat politique d'un rapport malsain à l'argent. Sarkozy aime l'argent et ses symboles, et l'assume au-delà du bon goût et des exigences de la fonction présidentielle. François Hollande a un rapport plus contrarié à l'argent. Il se pose comme un homme désintéressé. Mais ce désintérêt est celui des riches. L'argent ne l'intéresse pas à condition de n'en jamais manquer. N'ayant jamais eu à compter, il ne sait pas très bien combien il gagne. Interrogé par deux fois pendant la campagne sur son salaire, il répond différemment et de manière fort imprécise. Mais par deux fois, il se limite à citer ses salaires nets de député et de président de conseil général. Les avantages considérables (7000 euros/mens nets, non imposables et sans justification) sont passés sous silence ; c'est pourtant ce qui fait la différence entre un riche et un très très riche. Il faut effectivement être très riche, l'avoir été toujours été et être persuadé de ne jamais manquer pour ne pas savoir exactement combien on gagne. Celui pour qui la fin du mois commence le 10 connait son salaire, en brut, en net, ses allocations, ses impôts s'il en paie, tout cela au centime prés. Il faut être très riche et l'avoir toujours été pour dire qu'on est riche à partir de 4000 euros par mois. C'est tout aussi naïvement bourgeois que ne pas connaitre le prix de la baguette de pain ou du ticket de métro. Pour François Hollande, la richesse n'est pas une notion économique ; c’est une notion esthétique. La richesse c'est le mauvais goût associé à l'argent. Une montre de prix, ostentatoire, c'est de mauvais goût ; c'est un signe de richesse. Un scooter qui donne un look urbain et décontracté, fût-il extrêmement cher à l'achat et à l'entretien, n'est pas un signe de richesse. Bolloré qui prête un yacht à Sarkozy est un riche. Pierre Bergé, qui finance la campagne de Ségolène Royal et investit dans des galeries d'art à l'étranger, n'est ni un riche ni un exilé fiscal ; c'est un mécène. Tout est affaire de goût.

Comme les bourgeois, François Hollande sait mettre une limite à son désintérêt de façade lorsqu'il en viendrait à entamer le patrimoine. L'ISF lui pose un sérieux problème d'image. Avec un patrimoine de 1 Meuros, après séparation d'avec son ancienne compagne, il aurait dû normalement être assujetti à l'ISF ancienne formule qui démarrait à 0,8 Meuros. La désarkozysation forcée de ces dernières semaines s'est bien gardée de revenir à cet ancien seuil, épargnant ainsi François Hollande. L'histoire jugera et, bien évidemment, quand le gros temps médiatique viendra, elle jugera mal et sévèrement. On dira alors que ce seuil conservé à 1,3 Meuros ne visait qu'à l'épargner. Et puis on poussera plus loin l'analyse et on questionnera ses impositions passées avec ses compagnes successives.



Avec ce rapport complexe à l'argent, François Hollande s'est embarqué dans une grossière chasse aux riches. Début 2012, la nécessité de rehausser les prélèvements sociaux et fiscaux était largement perçue dans l'opinion, riches et moins riches confondus. François Hollande a commis deux erreurs majeures : - opposer les uns aux autres et plus précisément désigner les riches à la vindicte populaire ; - laisser croire que les catégories modestes et moyennes pourraient être épargnées. - Quand il fallait appeler les riches à une plus grande solidarité, on les a ostracisés ; quand il fallait préparer l'esprit des moins riches à la rigueur, on leur a promis qu'ils ne seraient pas touchés. Et ainsi on s'est retrouvé mi-juillet avec, parmi les premières mesures, la fin de la défiscalisation des heures supplémentaires. Pour traiter la perplexité des classes modestes qui se trouvaient ainsi les premières pénalisées, on a en a rajouté dans la communication sur l'ISF. Alors que d'habitude la communication gouvernementale s'évertue à atténuer les effets d'une mesure d'alourdissement fiscal, on a, cette fois, fait l'inverse pour mettre en exergue la sévérité de la mesure anti-riches et calmer l'amertume des humbles: "vous avez vu ce qu'on leur a mis ! ah !, ils ne l'ont pas volé ces salauds de riches !"

Tout ceci pour 7,5 Milliards d'euros. Il faut maintenant en trouver 35 en 2013 pour simplement atteindre le niveau de déficit visé, et 30 de plus (environ) si on veut réaliser le choc de compétitivité pour nos entreprises. Et François Hollande a payé cash ces 7,5 milliards en liquidant le sarkozysme et en consommant toutes ses mesures phares de campagne.

A partir du 20 août 2012, il est seul comptable de la suite, sans ligne directrice et, pire, avec le redoutable obstacle des classes moyennes qui croient, à bon droit, puisque entretenues dans cette idée, être épargnées ; et après avoir abandonné à l'avance les deux seules cartouches à la mesure de l'enjeu : la TVA et la CSG.

La « normalitude » tournera au ridicule. Aller en train à Brégançon est approprié, mais rouler en convoi à 170 km/heure sur une autoroute ouverte est totalement irresponsable.

Passer ces vacances à Brégançon, c'est gentillet ; on verra combien de temps cela durera. Mais cela ne dispensera pas les critiques d'aller rechercher le coût de l'ouverture et de l'entretien d'une telle demeure. Critiques forcément injustes… mais à s'habiller de blanc on invite l'observateur à scruter la moindre tâche.

François Hollande s'est embarqué pour ce quinquennat avec des idées et des axes directeurs faibles et sans cohérence. Avec un tel gréement bon marché et si peu solide, il a peu de chance de tenir le gros temps. Capitaine de pédalo?